martes, julio 25, 2006

Vingtième journée



Aube.



Aube de cette vingtième journée depuis mon départ.


J'avais annoncé cette traversée comme la chronique d'une traversée. Petite fille à jamais d'un pays disparu, je pensais sans doute encore Marche en avant.

Marche, saut, bond
: autant de souvenirs doux-amers d'une planète défunte où nous allions, rangs et coeurs serrés, uniformes mais souriantes, changer le Monde ! Ce furent en fait autant de mouvements circulaires, de sursauts sanglants, de hoquets douloureux : suivant en cela les terribles courants d'ivresse et de nausée qui s'emparent de tous les petits corps humains lorsqu'ils croient avoir aboli le règne de leurs anciens dieux, alors qu'ils n'ont fait que les dissimuler derrière la tyrannie de leur propre peau nue, de leur peau dénudée et exposée à devenir la Grande Marchande d'elle-même.

Nudité, dénuement pourtant éphémère : car ces mêmes dieux, dans l'épaisseur du mystère qui est le leur, nous ont façonnées mortelles, nous chargeant de surcroît d'assurer par notre ventre même la pérénnité de cette étrange et merveilleuse blessure dont on ne guérit pas, et qui a pour nom la vie.

Il s'agit donc de vivre. De vivre condamnées, mais de vivre libres. De ne jamais plus s'étourdir à des masques, de se rappeler dans chaque instant à la seule loi qui vaille : celle de la rumeur de la vague, celle qui bat dans notre coeur quand nous la confions à quelque coquillage : parce que cette vague, elle n'est rien d'autre que l'horloge, ou plutôt le métronome à la fois naturel et sacré qui connait, lui, ainsi que son nom l'indique, la Mesure de toute chose, la Mesure-Mère.

La Mesure de l'Amour infini de cette Mère.

C'est cette longue marche de soi vers Elle et de soi vers Soi que j'ai donc entreprise.

Dans la seule Langue qui en valait la peine et le bonheur mêlés, celle qu'on appelle je crois chez vous Poésie.

Derrière, à côté, à l'intérieur même de ce qui avance ici il y a, je vous l'ai dit dès le début, ce livre, ce compagnon de route invisible mais grâce à qui pourtant se tendent chaque jour, chaque nuit ces quelques lignes brèves, ces quelques lignes minuscules tendues sur cet étonnant espace où vous êtes en ce moment avec moi, et qui, à sa manière, lie nos traversées.

Ce livre, il marquera de son achèvement la fin du voyage : il le sait, et moi aussi. Telle est la règle du Jeu.

Alors nous nous séparerons. La Mer, elle, continuera.

Un jour, une nuit, elle nous réunira.