viernes, agosto 04, 2006

Trentième journée



Premier mois de traversée.


Quelques fragments de phrases, quelques vers, quelques mots seuls souvent, témoins si minces de navigations de langues et d'âmes aujourd'hui disparues : qui m'ont accompagnée pourtant chaque jour, chaque heure parfois lorsque les tempêtes autour de moi me donnaient leur avis vrai sur ma littérature en me la recrachant au visage, en claquant ce petit coeur sans épaisseur, ces doigts sans pudeur qui avaient osé les affronter !

Chacun de leurs coups aurait pu me couler, chacun de leurs crachats me noyer : une mort glauque, gluante, petite glaire sans gloire et sans doute bien méritée.

Elles se sont contentées de m'y rouler, ce fut leur leçon d'humilité à elles.

Mordre la poussière sur la terre, lécher de tout son saoul l'humeur salée des mers : être humaine à sa seule condition.

Leur autre leçon, la moindre des vagues la rappelle : dans ce qu'elle roule, elle, d'un savoir-faire profond, d'une sorte d'inspiration saline et solaire en même temps, mais surtout de l'obstination farouche, de l'audace sans frein de tous ceux, de toutes celles qui avant moi se seront jetés à l'eau, au voyage : et qui l'auront réussi, à force de cette application quotidienne à ne pas renoncer, à ne pas déchoir de ce que ces mêmes tempêtes attendaient d'eux !

Car elles attendent ! Oui, elles attendent, et c'est en cela qu'elles comptent sur nous, dans le silence à la rumeur répétée de leurs vagues : cette sorte de livre muet qui contient l'autre livre, ce livre en travail, ce livre de ventre où
d'abord se tient la femme, et l'homme aussi qui en naît.

Sorte de folie lente et furieuse à la fois, et qu'ils ignorent souvent, ceux qui s'embarquent !


Folie ignorée qui fait cependant qu'ils le prennent, le large, le saisissent à plein bras, à plein coeur, et dès lors n'ont de cesse de se poursuivre eux-mêmes : en se criant d'avancer, d'avancer, d'avancer, sinon de toucher terre.